La recherche technologique
Ingénierie maritime (source : ENSTA Bretagne)
Les organismes d’enseignements supérieur et de recherche membres de l’ATMA mènent de nombreux projets de recherche sur différentes thématiques du domaine de l’ingénierie maritime (propulsion, hydrodynamique, éolien offshore, calcul de structure…). On propose ci-dessous d’illustrer ce sujet au travers de quelques projets actuels et collaboratifs impliquant deux ou plusieurs de ces institutions académiques.
Propulsion Vélique.
La décarbonation du transport maritime constitue une contribution importante à la lutte contre le réchauffement climatique. Parmi les leviers identifiés pour accroitre la décarbonation, figurent l’utilisation du vent et le recours à la propulsion vélique. Depuis une dizaine d’années, l’ENSTA Bretagne et l’Ecole Navale mènent des travaux de recherche dans ce domaine, notamment sur des sujets de conception (performances aérodynamiques, dimensionnement structurel) et d’intégration au navire (pilotage, contrôle-commande, déploiement) de différents systèmes de propulsion vélique (propulsion par kite, voiles rigides segmentées).
En particulier, l’ENSTA Bretagne, l’Ecole Nationale Supérieure Maritime et l’Ecole Navale, mènent actuellement le projet SOMOS dont l’objectif est de développer un outil de simulation numérique du comportement global de navires intégrant une propulsion vélique et/ou une propulsion non-conventionnelle.
Des modèles physiques sont élaborés à l’ENSTA, pour simuler les efforts et les interactions entre le système de propulsion vélique et le navire. Ces modèles s’intègrent dans un solveur innovant, capable d’optimiser simultanément plusieurs aspects : les paramètres de conception du navire et du système vélique, les paramètres de contrôle (régime moteur, angle de barre, réglages du système vélique, etc.), ainsi que le routage, simulé sur un large éventail de départs répartis sur une année d’exploitation du navire. Le tout permet une évaluation réaliste des performances de ces navires.

Résolution simultanée du design et du routage d’un navire
Un simulateur de navigation est également développé à l’ENSM, qui intègrera les modèles physiques avec l’ensemble de leurs paramètres (déploiement des voiles etc.). Cet outil servira à former le personnel navigant aux futurs systèmes de propulsion vélique et à évaluer les impacts opérationnels.

Simulateur de navigation développé à l’ENSM
Impacts hydrodynamiques
Les structures en mer (navires, plateformes, fermes éoliennes) peuvent faire face à des sollicitations dynamiques de forte amplitude (paquets de mer, vagues extrêmes, tossage…). Depuis plusieurs années, l’IFREMER et l’ENSTA Bretagne coordonnent leurs efforts pour modéliser et caractériser expérimentalement ces sollicitations, les efforts mécaniques et l’endommagement structurel afin d’améliorer les outils de dimensionnement.
Dans le cadre du projet DIMPACT (thèse de Florian Hulin1, soutenue en Avril 2024), des travaux de recherche portent sur l’étude des chargements hydrodynamiques induits par l’impact de vagues déferlantes sur les éoliennes en mer. DIMPACT a bénéficié du financement de France Energies Marines, de ses membres et partenaires, ainsi que d’une aide de l’Etat gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du plan d’investissement France 2030 (convention ANR-10-IEED-06-34). Une importante campagne d’essai, réalisée dans le bassin à houle de l’IFREMER, comprenant la conception et l’utilisation d’une maquette segmentée qui permet de mesurer séparément les efforts agissant sur les différentes sections, en contrôlant finement la position et l’inclinaison de la maquette. Le dispositif permet également de prescrire un mouvement à la maquette, afin de simuler les mouvements induits par la houle pour une éolienne flottante. Notons également qu’une méthode d’analyse originale, permettant de compenser les perturbations causées par les vibrations de la maquette (qui sont générées par l’impact de la vague) sur les mesures d’effort, a été mise au point2. Cette méthode repose sur l’utilisation des mesures d’accélérations en différents points de la maquette et permet de grandement améliorer la précision des mesures. Cette étude a permis de caractériser finement l’influence de la distance de déferlement δ (distance entre l’endroit où la vague commence à se retourner et la position de la structure), de l’intensité du déferlement (caractérisée par le paramètre Γ introduit par Derakhti et al. (2020)), de l’inclinaison du cylindre et d’une vitesse d’avance sur les chargements hydrodynamiques, et de proposer une formulation empirique pour décrire ces efforts.
D’autres travaux en cours ont pour but d’étudier la réponse hydro-élastique de structures tubulaires lors d’un impact hydrodynamique. Il s’agit des travaux de thèse de FrankiTaussé (projet DURAWAVE financé par la région Bretagne et l’ENSTA). C’est une question importante, car le chargement induit par un impact hydrodynamique étant de nature impulsive, évaluer les contraintes générées dans la structure de « manière quasi-statique » n’est généralement pas correct. Les travaux menés comportent un volet théorique, portant sur développement d’un modèle semi-analytique couplant la théorie des poutres d’Euler-Bernoulli à un modèle d’impact hydrodynamique de type Wagner. Une campagne d’essais a aussi été réalisée avec la machine de choc de l’ENSTA. Les résultats obtenus ont montré l’importance de tenir compte des couplages hydro-élastiques dans la modélisation de la réponse structurale.
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Illustration du dispositif expérimental utilisé pour étudier les chargements de vagues déferlantes. Les essais sont réalisés dans le canal à houle de l’IFREMER à Brest. |
Maquette instrumentée utilisé pour étudier la réponse hydro-élastique d’un tube soumis à un impact hydrodynamique. Les essais sont réalisés à l’aide de la machine de choc de l’ENSTA. |
Cordage d’ancrage des éoliennes flottantes.
Les éoliennes en mer permettent de capter des vents plus forts et plus constants, que celles à terre. Elles réduisent aussi l’impact visuel et sonore puisque placées à plusieurs dizaines de kilomètres du littoral. Dans des profondeurs d’eau modestes, typiquement inférieures à 60m, leur fondation est posée sur le fond. L’éloignement des parcs éoliens de la côte peuvent induire des profondeurs d’eau plus importantes, qui rendent les supports posés trop onéreux : la solution de support flottant est donc actuellement en plein développement. Elle nécessite un ancrage composé de plusieurs lignes destinées à reprendre les efforts de flotteurs de façon flexible, ancrées au fond marin individuellement. Alors qu’elles sont classiquement composées de chaîne acier et/ou de câble en fil d’acier, des cordages en fibres polymères (polyester, polyamide) semblent un meilleur choix de conception des lignes d’ancrage pour une application aux éoliennes flottantes; en effet, le rayon de l’empreinte sur le fond en sera réduit, ainsi que les efforts de rappel sur l’éolienne et au final les coûts de l’ancrage.
Pour ces cordages, les fibres polyamide (Nylon) sont les candidats les plus prometteurs et les plus étudiés actuellement. Plusieurs verrous scientifiques doivent être levés pour leur utilisation de maintien en position des éoliennes flottantes. Un premier verrou est une loi de comportement mécanique cyclique visco-élasto-plastique fiable et implantée dans les codes de simulation des éoliennes flottantes, afin d’évaluer les efforts sur les structures et les mouvements de la plateforme. En effet l’amplitude de ces mouvements est un paramètre clé pour la durée de vie du câble électrique dynamique reliant la plateforme de chaque éolienne à la sous-station en passant par le fond marin. Par ailleurs, une prédiction fine des pics d’efforts permet d’affiner les coûts au-delà du dimensionnement de la ligne elle-même, en impactant également les éléments de reprise d’efforts sur le flotteur (chain-stoppeur). Pour limiter au maximum les coûts de maintenance, les phénomènes mécaniques ressentis par le cordage doivent être anticipés et contrôlés sur une période de 25 ans de service ; ainsi la connaissance de l’endommagement par fatigue et l’allongement des cordages par fluage long-terme sont deux autres verrous scientifiques, indispensables à la validation de cette solution d’ancrage pour les futures éoliennes flottantes.
Ces trois verrous scientifiques ont été investigués lors des projets POLYAMOOR (2017-2020), MONAMOOR (2020-2023) et poursuivis avec le projet BAMOS (2024-2027) et le projet européen ESOMOOR (2024-20207). Les trois premiers projets ont bénéficié du financement de France Energies Marines, de ses membres et partenaires, ainsi que d’une aide de l’Etat gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du plan d’investissement France 2030 (POLYAMOOR : convention ANR-10-IEED-0006-16, MONAMOOR : convention ANR-10-IEED-06-34, BAMOS : convention ANR-10-IEED-06-34).
FEM, l’ENSTA (site de Brest), l’IFREMER (Brest) et la société de production de cordages synthétiques pour les plateformes flottantes pétrolières et éoliennes BEKAERT-BEXCO (Belgique) ont proposé ensemble une loi de comportement mécanique cyclique d’un cordage d’ancrage optimisé en fibre polyamide, ont caractérisé leur endommagement par fatigue ainsi que leur élongation sous tension constante (fluage) sur une longue période de temps (mesures de 3 ans). La fatigue de ces cordages est due principalement à la friction cyclique de ses composants les uns contre les autres. Cela génère une chaleur, que l’équipe de l’ENSTA mesure au moyen de caméras infrarouge. Cette mesure originale, appelée « auto-échauffement », pour ces matériaux textiles permet de prédire l’endommagement en fatigue avec une campagne expérimentale beaucoup plus rapide et moins coûteuse que les essais cycliques classiques. Cette méthode, encore en développement, a produit des résultats très encourageants.

Image par caméra Infra-Rouge d’un sous-cordage en traction cylique
Réparation des matériaux composites thermoplastiques en fin de vie
Les matériaux composites sont utilisés dans de nombreuses applications marines dans le domaine militaire ou civil. Pour des raisons de cout, les matrices utilisées sont généralement thermodurcissables. Toutefois, des évènements extrêmes en services peuvent causer l’apparition d’endommagements au sein de la matrice (fissure dans les plis ou décollement entre deux plis) qui n’impactent pas directement la tenue de la structure, mais peuvent au cours de temps se propager et conduire à une rupture catastrophique. Dans ce cas, il convient alors de remplacer le sous-ensemble afin de garantir l’opérabilité de la structure. Une autre voie consiste à utiliser un matériau permettant une réparation rapide sans ajout de matière. C’est dans ce cadre que s’inscrit ce projet qui a pour objectif d’investiguer l’intérêt d’utiliser des composites à matrice thermoplastiques en intégrant les problématiques de fin de vie (extension de la durée par réparation). Ce projet, financé par l’AID dans l’appel à projet Ingéblue 2022, porte sur deux aspects majeurs : la réparation et le vieillissement. La méthodologie retenue consiste à examiner séparément ces deux aspects avant de les coupler pour une analyse approfondie. Deux types de structures sont investigués. Dans un premier temps, l’analyse se concentre, dans le cadre de la thèse de Mathilde Conan débutée en octobre 2023, sur des défauts maîtrisés sur des éprouvettes de caractérisation : propagation de fissure en ouverture (endommagement inter-plis) et fissuration en traction dans les plis désorientés (endommagement intra-plis). Par la suite, l’étude de la réparation de défauts de type impact basse vitesse représentatifs de ceux rencontrée en service (dans le cadre d’un post-doctorat débuté en mars 2025).
Le matériau étudié est un préimprégné constitué de fibres de carbone et de PPS (polysulfure de phénylène) sous forme de plis unidirectionnels. Le PPS est un polymère semi-cristallin appartenant à la famille des polymères haute performance. Une phase préliminaire a été consacrée à la fiabilisation du procédé de fabrication des plaques C/PPS. La conformité et la répétabilité du processus ont été validées au moyen de différents essais mécaniques. Une fois ce procédé maîtrisé, l'étude du comportement du matériau vis-à-vis de la fissuration, avant et après réparation, a pu être engagée. La démarche suivie est illustrée en Figure 1.
Dans un premier temps, la capacité du matériau à tolérer un endommagement, en l’occurrence la propagation d’une fissure en mode ouverture, est évaluée. Ensuite, une réparation est effectuée en appliquant le même cycle de thermo-compression que celui utilisé lors de la consolidation initiale. L’essai mécanique est alors répété sur l’éprouvette réparée. Cette séquence peut être reconduite plusieurs fois afin d’analyser l’effet de réparations successives. Enfin, l’influence de la prise en eau peut également être explorée en saturant préalablement le matériau en eau de mer avant les essais.

Démarche générale utilisée pour l’étude de l’effet d’une réparation sur la tenue mécanique
d’un composite carbone/thermoplastique. Effet d’une réparation
Les premiers résultats obtenus sont encourageants. La valeur du taux de restitution d’énergie critique (qui représente la capacité d’un matériau à résister à l’avancée d’une fissure) est récupérée de près de 90% après réparation. Des résultats comparables sont obtenus sur l’étude de la propagation de fissure en fatigue où la vitesse de propagation d’une fissure n’est augmenté que d’un facteur 2 après réparation.
Notons qu’en parallèle, des échantillons ont été immergés dans de l'eau de mer à des températures variant entre 25 et 80°C. Les résultats montrent que l'absorption d'eau à 80°C atteint une valeur de 0,18 %, ce qui est très faible comparé à d'autres matériaux tels que le C/PA6 ou le C/Époxy. Ce résultat laisse penser que l'absorption d'eau aura probablement peu d'impact sur les propriétés mécaniques.
Dans la suite, la démarche sera appliquée au mécanisme de fissuration intra-plis à la fois nécessitant la mise en place d’un suivi automatique de la fissuration à la fois par analyse d’image et par analyse de signaux acoustiques. En parallèle les premiers travaux sur la réparation de structures impactées (couplant endommagement inter et intra plis) ont débuté par la mise en place du protocole expérimental.

